Un peu plus d'un an après avoir pris la tête de l'agence ONU Femmes, dédiée à l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes, l'ancienne présidente du Chili, Michelle Bachelet, exhorte les gouvernements, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes célébrée le 25 novembre, à faire preuve d'une plus grande volonté politique.
D'importants progrès ont été accomplis ces dernières années. Pas moins de 125 des 193 pays membres de l'Organisation des Nations unies (ONU) interdisent aujourd'hui la violence conjugale, 89 pénalisent l'excision, et la violence sexuelle en période de conflit est depuis trois ans qualifiée par le Conseil de sécurité de crime de guerre ou de crime contre l'humanité. La Convention européenne pour prévenir et combattre la violence à l'égard des femmes, signée en mai à Istanbul, marque aussi un tournant de par les objectifs spécifiques qu'elle s'est fixés en matière de prévention, de protection des victimes et de poursuite des auteurs. Mais d'énormes défis restent à relever. Plus de 600 millions de femmes vivent dans des pays où la violence conjugale n'est pas pénalisée. Quant aux nouvelles législations créées en faveur de la protection des femmes, elles ne sont pas toujours mises en œuvre, faute de ressources financières ou humaines. La violence contre les femmes est l'une des violations des droits de l'homme les plus répandues dans le monde, mais elle reste l'un des crimes les moins poursuivis.
La violence contre les femmes n'est pas une affaire de femmes ni une affaire privée. C'est un fléau qui affecte toutes les sociétés sans distinction, riches ou pauvres, et dont les coûts pèsent sur les économies nationales. Rien qu'au niveau du Conseil de l'Europe, les dépenses engagées, notamment en termes d'assistance médicale, s'élèvent à plus de trois milliards d'euros par an. Il est temps pour les gouvernements de faire preuve de volonté politique et d'agir. Je propose un programme de seize mesures, axé sur trois priorités : la prévention, la protection et l'accès à des services essentiels. Parmi ces mesures, qui vont de la ratification de traités à la traduction des coupables en justice, la sensibilisation des hommes et des garçons est cruciale, car nous ne pourrons atteindre la "tolérance zéro" sans leur soutien.
Nous sommes actifs dans 78 pays. En Afghanistan, où les pays donateurs financent de nombreux projets, nous avons 82 personnes. En République démocratique du Congo, qui a été le théâtre de viols massifs, nous n'avons que cinq personnes, mais nous sommes en phase d'expansion. Nous ne pourrons jamais être présents sur tout le territoire, nous devons doter la population civile de moyens de communication, la maintenir en contact avec les Casques bleus, lesquels ont besoin d'être mobiles, mais les hélicoptères manquent. Notre action pâtit de carences budgétaires. Le Fonds d'affectation spéciale de l'ONU pour l'élimination de la violence contre les femmes s'est vu allouer 17 millions de dollars cette année pour 22 initiatives dans 34 pays, y compris et pour la première fois en Irak et au Soudan du Sud, mais les demandes de financement étaient de 200 millions de dollars.
Je pense que la démocratie, quoi qu'il arrive, vaut toujours mieux qu'un régime autoritaire. En Tunisie, un parti islamiste modéré l'a emporté, on est en droit d'espérer des avancées. En Egypte, où se joue une révolution politique et de justice sociale, la cause des femmes n'a pas encore sa place, mais le processus de démocratisation leur permettra de faire entendre leurs voix. Mon message aux acteurs de ces révolutions est celui-ci : la démocratie n'est pas qu'une affaire de droit de vote ou de liberté d'association, elle est aussi la garantie d'une représentation dans toute la diversité de la population et d'une protection des droits de tous et de toutes. - Le Monde 25-11- 2011.